Dans les montagnes Nuba du sud du Soudan, des centaines d’hommes se préparent à rejoindre les rangs des combattants fidèles à l’ancienne armée rebelle sudiste, la SPLA, en s’entraînant sur les sentiers au rythme de chants guerriers.
Le gouvernement soudanais tente d’écraser cette "rébellion" au Kordofan-Sud, un Etat qui a été un champ de bataille pendant la guerre civile entre le Nord et le Sud (1983-2005), afin de réaffirmer son autorité au sein de ses frontières redessinées par l’indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet.
Des chefs religieux et des militants des droits de l’homme dénoncent un "nettoyage ethnique" contre les Nuba, qui se sont battus du côté des Sudistes, ce que Khartoum dément, tandis qu’un rapport de l’ONU évoque des attaques si systématiques qu’elles pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
Mais malgré six semaines de bombardements incessants, qui ont poussé 73. 000 civils à fuir selon l’ONU, la rébellion ne semble pas faiblir: la branche nord de la SPLA assure contrôler la majeure partie du Kordofan-Sud et les nouvelles recrues affluent dans les rangs rebelles.
Certains sont jeunes, d’autres moins, comme Adbullah, un agent de voyage de Kadougli qui s’est porté volontaire après avoir dû fuir les intenses combats dans la capitale de l’Etat en juin.
"J’ai perdu tant d’amis à Kadougli. D’abord, l’un d’entre eux a été abattu par une batterie antiaérienne. Ensuite, pendant que nous le portions, deux autres ont été tués par une bombe larguée d’un avion. Et un autre a été tué sur la route pour venir ici", raconte-t-il.
L’alliance des Nuba avec la SPLA remonte au début des années 1990, quand le gouvernement du président Omar el-Béchir a cherché à "arabiser" la région et à imposer la charia, la loi islamique.
A 73 ans, Saïd, devenu numéro 3 de la branche de la SPLA au Kordofan-Sud après avoir combattu les forces gouvernementales pendant des décennies, supervise la formation des recrues qui chantent en agitant des AK-47 en bois, avec l’espoir d’en porter un jour de vrais.
Même si le Soudan du Sud a fait sécession, Saïd et beaucoup de Nuba veulent encore croire en l’avènement d’une fédération soudanaise démocratique, le projet porté par John Garang, chef historique de la rébellion sudiste mort en 2005.
"Je veux la liberté pour les montagnes (Nuba) et aider tous les peuples marginalisés du Soudan, du Darfour au Nil bleu. Ils vont nous rejoindre. Déjà la branche de la SPLA dans la région du Nil bleu a pris le maquis. Ils vont combattre aussi. Nous sommes prêts à aller jusqu’à Khartoum pour en finir", explique-t-il.
Le gouverneur de l’Etat du Nil bleu, Malik Agar, a récemment estimé que le risque était "très élevé" de voir la guerre s’étendre à son Etat, qui compte aussi un grand nombre de partisans de la SPLA.
D’autant que les combattants rebelles Nuba semblent confiants et bien armés. "C’est notre terre. Ils nous attaquent et se retirent. Béchir avait prévu de nous désarmer, mais c’est nous qui le désarmons", lance Moubarak Abdelrahman Ahmed, un jeune officier de la SPLA.
Le 1er juillet, la SPLA a en effet réussi à chasser l’armée soudanaise et à saisir des véhicules, des armes et des munitions dans la ville de garnison d’El-Hamra, à 20 km au sud-est de Kadougli, désormais un champ de ruines qui a visiblement été le théâtre d’une bataille entre deux véritables armées.
Le seul hôpital encore en fonctionnement dans les montagnes Nuba a accueilli plus de 200 soldats blessés, ainsi que des civils. Dans une chambre, un enfant a eu le visage à moitié soufflé par une bombe. Dans une autre, une fillette de 12 ans souffre du tétanos après avoir eu le bras arraché par un éclat d’obus.
Les soins sont prodigués par un médecin américain, Tom Catena, qui se dit choqué de ce qu’il a vu. "Je pense qu’aucun Nuba ne veut rejoindre le Nord. Ils vont se battre jusqu’au dernier, ou bien chasser ces gars".
Dehors, le bourdonnement d’un bombardier Antonov interrompt les jeux des enfants, qui se précipitent dans les caves et scrutent le ciel nuageux en attendant le prochain raid.