La création d’une région semi-autonome baptisée Azania, volet politique de l’intervention kényane dans le sud de la Somalie, laisse sceptiques en l’état des analystes qui soulignent les nombreux obstacles à la viabilité d’une administration aux allures de zone tampon pour le Kenya.
Si le gouvernement kényan a multiplié les déclarations contradictoires sur les raisons de son intervention militaire débutée il y un mois, les analystes interrogés par l’AFP s’accordent à dire qu’elle vise, en premier lieu, la mise en place d’une zone tampon à sa frontière.
"Il est compréhensible que le gouvernement kényan veuille une zone tampon entre lui et le chaos somalien en général, et plus particulièrement pour prévenir tout débordement de l’insurrection shebab" qui contrôle le sud somalien, résume J. Peter Pham, collaborateur du centre de réflexion américain Atlantic Council.
Selon Rashid Abdi, spécialiste de la Somalie au sein de l’International Crisis Group (ICG), la mise en place d’une telle administration donnerait également des arguments forts au Kenya pour désengorger les camps de réfugiés somaliens dans le nord-est du pays, notamment le complexe surpeuplé de Dadaab.
Depuis plus de deux ans, le Kenya entraîne sur son territoire des troupes censées former l’ossature sécuritaire de cette nouvelle administration qui regrouperait les régions de Gedo, Bas Juba et Moyen Juba, sous la houlette de l’ancien ministre somalien de la Défense (2009-2010), le francophone et ancien chargé de recherches à l’université de Besançon (est de la France) Mohamed Abdi Mohamed, alias "Gandhi".
L’intronisation de "Gandhi" et la création officielle d’Azania avaient d’ailleurs eu lieu au Kenya en avril 2011.
Mais la présence d’autres groupes militaires importants dans cette région, le profil même de "Gandhi" – Somalien de la diaspora issu d’un sous-clan Ogaden minoritaire dans cette région- les réticences supposées ou réelles de l’Ethiopie et du président Sharif Cheikh Ahmed sont de nature à contrecarrer le projet politique.
"Gandhi a une certaine crédibilité et son nom n’est pas terni mais il n’a pas assez travaillé avec les notables sur le terrain. Il est déconnecté de la base", estime M. Abdi.
"rivalités d’autres milices"
"Ce n’est pas quelqu’un qui a du sang sur les mains comme d’autres, mais dans la vie politique somalienne, je ne suis pas sûr qu’il pèse beaucoup", renchérit Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de la Corne de l’Afrique.
"Donc Gandhi a besoin d’un coup de pouce que lui donne l’armée kényane", ajoute-t-il.
De même, en cas de victoire même partielle sur les Shebab, Azania sera tôt ou tard confrontée à la rivalité d’autres milices déjà présentes sur le terrain, notamment le groupe Ras Kamboni d’Ahmed Madobe, issu du sous-clan ogadeni des Mohamed Zubeyr.
Ce dernier a des liens étroits avec de hauts gradés kényans et ne voit pas forcément d’un bon oeil le soutien actuellement apporté aux groupes des Ogaden Tolomoge, le clan de Gandhi et Ogaden Aulihan, d’où sont issues les recrues entraînées par le Kenya.
De même, dans la région de Gedo, la milice soufie Ahlu Sunna wal Jamaa, dominée sur place par le clan Marehan et soutenue par l’Ethiopie, a déjà fait savoir qu’elle rejetterait l’autorité du "gouvernement" d’Azania.
Enfin, l’attrait économique que suscite le port de Kismayo ne manquerait pas de déclencher des dissensions profondes entre les différentes milices présentes dans la région.
"Tant que Gandhi n’aura pas levé une force militaire crédible capable de prendre le contrôle de cette région (. . . ) +Jubaland+ (Azania, Ndlr) ne sera rien de plus qu’un conte fantastique joué par des politiciens somaliens inefficaces coincés à Nairobi", tranche M. Pham.
M. Pham estime par ailleurs que la mise en place d’une zone tampon est trop tardive, des shebab susceptibles de perpétrer des attaques se trouvant déjà sur le territoire kényan, véritable sanctuaire pour le mouvement avant l’intervention militaire.
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