Alors que la crise ivoirienne commence à dégénérer en guerre civile, les combats ne sont plus seulement le lot des quartiers d’Abidjan pro-Ouattara comme Abobo et Koumassi. Lundi matin, des tirs à l’arme lourde ont été entendus pour la première fois dans le quartier de Yopougon (ouest d’Abidjan), près de la résidence privée du général Philippe Mangou, le chef d’état-major des forces armées, qui est resté jusque-là fidèle au président ivoirien sortant Laurent Gbagbo.
Les tirs ont commencé peu avant l’aube, vers 5 heures du matin (locales et GMT), dans la zone d’Andokoua, dans le nord de Yopougon, près de la forêt du Banco, pour cesser deux heures plus tard, selon des témoins. « On a été réveillés par des tirs à l’arme lourde, suivis de tirs de kalachnikov », raconte une habitante. « On est couché, on ne peut même pas sortir », a-t-elle ajouté. Un autre habitant a évoqué « des tirs d’obus et de kalach ».
Alerte maximale
De larges zones de la forêt du Banco, qui sépare Abobo des zones nord de Yopougon, notamment Andokoua, échappent au contrôle des forces de sécurité qui ont lancé samedi une vaste offensive à Abobo pour déloger des insurgés d’Abobo, faisant au moins une dizaine de morts. Une opération qui n’a guère changé la situation sur le terrain, et a peut-être même provoqué la contre-attaque sur Yopougon. Toutes les forces de gendarmerie pro-Gbagbo étaient en alerte maximale.
Cette nouvelle escalade de la violence à Abidjan intervient alors que les Forces nouvelles gagnent du terrain dans l’ouest du pays. Elles ont pris dimanche la ville de Doké, entre Toulépleu, déjà tombé le 6 mars sous leur contrôle, et Bloléquin, qui est leur prochain objectif. Les FN cherchent visiblement un accès au centre-ouest, vers San Pedro (sud-ouest), le plus grand port d’exportation de cacao au monde. Par ailleurs, une centaine de soldats FDS ont déserté et trouvé refuge au Liberia – comme quelque 75 000 personnes depuis le début de la crise – après les combats à Toulépleu, ont indiqué des réfugiés ivoiriens.
« Beaucoup d’entre eux sont déjà passés au Liberia. Ils sont dans la ville de Toetown et les villages environnants, ils sont plus d’une centaine, mélangés aux réfugiés » civils, a déclaré un réfugié ivoirien à Toetown, ville située dans l’est du Liberia, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, à une trentaine de kilomètres de la ville de Toulépleu.
Déserteurs clandestins
Avant de passer au Liberia, ces soldats ont laissé leurs armes de l’autre côté de la frontière, ont affirmé les réfugiés. Des informations confirmées par un élu local, qui précise que les déserteurs ont pris toutes les précautions pour ne pas se faire repérer par la mission des Nations unies au Liberia (Minul). « Ils ont peur d’être arrêtés par les forces de la Minul. Ils ont masqué leur identité et tout ce qui pourrait facilement les identifier », a-t-il affirmé.
Sur le front diplomatique, comme sur le plan sécuritaire, le camp Gbagbo accumule les déboires. Après la récente réaffirmation par l’Union africaine de la légitimité du président élu Alassane Ouattara, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU examinait lundi un rapport sur la situation en Côte d’Ivoire, rédigé par la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillay.
Celui-ci appelle notamment à la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme dans le pays et conclut « à une détérioration drastique de la situation » en Côte d’Ivoire depuis novembre 2010. « Les membres des Forces de défense et de sécurité loyales à Laurent Gbagbo ont fait un usage excessif et mortel de la force pour réprimer les opposants politiques, entraînant le pays dans la tourmente et créant un climat de suspicion, de peur et de répression », note le rapport.