Jeune Afrique, 1 de Septiembre- Libreville, début août. La capitale se prépare à célébrer en grande pompe le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Gabon. Un peu partout, les portraits des trois présidents élus qui ont marqué l’histoire du pays, véritable mosaïque ethnique aux équilibres instables mais préservée des conflits qui ont endeuillé tant d’autres nations du continent. Léon Mba, Omar Bongo Ondimba et aujourd’hui son fils, Ali, semblent veiller sur les Gabonais depuis les frontons des immeubles ou les réverbères. Les décorations et les drapeaux vert, jaune et bleu égaient quelque peu la ville, recouverte d’un épais manteau de nuages gris que le soleil d’hiver ne parvient que rarement à percer.
L’année dernière, à la même époque, le Gabon était en proie à l’inquiétude, palpable à chaque coin de rue. C’était un pays orphelin de son chef, qui donnait l’impression de s’apprêter à faire un saut dans le vide. Après quarante-deux ans de règne, Omar Bongo Ondimba (OBO), véritable totem, laissait un vide immense pour tous les Gabonais. Libreville bruissait des rumeurs les plus folles, le rapport des forces entre les candidats déclarés à sa succession n’était pas encore clairement établi, la méfiance était de rigueur et les risques de dérapage réels.
Différence de style
Un an plus tard, tout a changé. Jusqu’ici surnommé « Baby Zeus », Ali Bongo Ondimba (ABO) est devenu Zeus tout court. Il a succédé à son père à l’issue d’une élection à un tour disputée – ses deux adversaires, Pierre Mamboundou et André Mba Obame, ont recueilli, au total, plus de voix que lui – et contestée. Mais « Ali », comme l’appellent ses compatriotes, s’est installé, a mis en place son pouvoir et ses hommes et s’est attelé à la tâche, immense, qui l’attendait : répondre aux attentes énormes de changement sans renier sa filiation et son héritage.
Le changement de style est radical. Omar gérait son pays comme un chef de village ou de famille, Ali ressemble davantage à un chef d’entreprise : organisation, travail, gestion rigoureuse, patriotisme économique, respect des règles et, pour tous ou presque, fin des passe-droits. Ce changement de style déroute dans un Gabon en pleine transition, encore ankylosé par deux décennies d’immobilisme. OBO arrondissait les angles, ABO déteste les compromis. Le premier était passé maître dans l’art de ramener les « enfants prodigues » à la maison, quitte à passer l’éponge sur les pires affronts. Le second se refuse à cet exercice et a la rancune tenace. Question de génération (il a 51 ans) et de caractère, sans doute, mais aussi de leçons tirées de l’exercice d’un pouvoir qui, après avoir flirté avec l’abîme au cours des années 1990, quand Paul Mba Abessole le fit vaciller, a sans doute trop cherché à se prémunir de toute sérieuse contestation pour faire autre chose que de la « politique politicienne ».
L’homme qui nous a reçu à son domicile de La Sablière, un quartier huppé de Libreville, s’est révélé aux antipodes des clichés véhiculés sur son compte. On le disait austère, méfiant, peu à l’aise. Il est apparu décontracté, sûr de lui et ouvert. Il s’est prêté sans rechigner au jeu des questions, n’en éludant aucune. Même s’il s’est fait très diplomate quand il s’agissait de parler de ses voisins d’Afrique centrale… À la fin de l’entretien, il a rejoint les membres de sa sécurité, son frère Alex et son ex-beau-frère Patrick-Hervé Opiangah pour la traditionnelle partie de foot du dimanche, dans le jardin de sa résidence. Inutile de préciser que c’est l’équipe du « patron » qui a gagné…
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Jeune Afrique : L’année dernière, en pleine campagne présidentielle, vous nous aviez déclaré que vous deviez désormais vous faire un prénom ; et que les Gabonais voulaient savoir si vous étiez capable de les diriger. Un an plus tard, pensez-vous les avoir convaincus ?
Ali Bongo Ondimba : Au risque de paraître vaniteux, je pense que oui. Les Gabonais ont fait connaissance avec moi et, surtout, ont constaté que j’ai tenu autant que possible ce que j’avais promis.
Qu’est-ce qui est le plus difficile : conquérir le pouvoir ou le conserver ?
C’est très différent, mais conserver le pouvoir est indubitablement beaucoup plus difficile.
L’exercice de la fonction de chef d’État vous a-t-il surpris ?
Toute nouvelle aventure recèle son lot de surprises, même pour ceux qui, comme moi, ont déjà une certaine expérience du pouvoir et ont été à bonne école. Mais je ne peux pas dire que j’ai fait beaucoup de découvertes, même si je n’étais pas forcément très à l’aise au début. En revanche, ce qui m’a le plus marqué, c’est le fait que, jusqu’à présent, lorsque j’avais des choix importants à faire ou des décisions complexes à prendre, je me disais : « Tiens, je vais aller au palais en discuter avec le patron et lui demander conseil. » J’ai dû m’habituer à ne plus disposer de ce précieux recours.
Quel bilan dressez-vous de cette première année ?
Elle a été très intéressante, très riche. Il a d’abord fallu que je me fasse connaître de mes compatriotes. Pendant la campagne, j’ai parcouru le pays en tous sens, prononcé une cinquantaine de discours pour expliquer ma démarche et mes ambitions pour le Gabon. Après l’élection, j’ai dû faire de même auprès de mes pairs africains et de la communauté internationale. Beaucoup de voyages, de rencontres, de débats, de conférences et de sommets internationaux… Nous avons aussi passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière dont nous allions mettre les choses en place, à prendre la mesure des chantiers qui nous attendaient et à dresser l’inventaire de tout ce qu’il fallait changer. Avant de construire une belle maison, il faut s’atteler aux fondations. Un travail presque invisible, mais indispensable si vous ne voulez pas voir tout s’écrouler en un tournemain…
L’impatience, la soif de changement des Gabonais sont pourtant énormes…
J’ai toujours indiqué à mes compatriotes que la route serait longue et que je n’avais pas de baguette magique. Je ne suis pas là pour faire un lifting, ou un dépoussiérage, dans la précipitation. Ce qui nous attend prendra du temps, mais nous sommes sur la bonne voie. Les Gabonais s’en apercevront très vite.
Fin des effectifs pléthoriques dans la fonction publique, des cumuls de mandats et de fonctions, des placards dorés, chasse aux gaspillages… Vos premières décisions ont été marquées par une sévère reprise en main. Avez-vous conscience d’avoir ainsi suscité de graves inimitiés au sein de votre propre camp ?
Bien sûr. Mais tout le monde savait que ces mesures devaient être prises, tout le monde les réclamait. Le président Bongo lui-même l’avait dit en 2007. Sa santé ne lui en a pas laissé le temps. C’est tombé sur moi, je l’ai fait.
Depuis votre arrivée au pouvoir, d’anciens caciques du Parti démocratique gabonais (PDG) se sont unis au sein d’une nouvelle formation d’opposition, l’Union nationale. Cela vous inquiète-t-il dans la perspective des législatives de 2011 ?
Non, nous avons déjà connu plusieurs vagues de départs vers l’opposition depuis les années 1990. En fonction du moment, des aléas de la vie, de leur bonne ou de leur mauvaise fortune, ils ont d’ailleurs souvent eu tendance à revenir au PDG… Bon débarras ! Nous avons trop souffert de ces girouettes qui ont une attitude le jour et une autre la nuit. Nous préférons nous retrouver entre vrais militants. J’ajoute que les législatives partielles du mois de juin me confortent dans cet état d’esprit : nous avons remporté plus de sièges que nous n’en avons perdus.
Vous avez été très proche de l’un des leaders de cette nouvelle opposition, André Mba Obame. Vous êtes-vous revus depuis votre rupture ?
Nous ne nous sommes pas vus depuis qu’il a quitté le gouvernement. Et pas parlé non plus.
Pour quelle raison ?
Posez-lui la question. C’est lui qui a quitté ce parti dans lequel il a longtemps milité. Il doit donc nourrir quelques griefs. Il a fait un choix, il doit l’assumer.
Depuis, il ne vous ménage guère. Au mois de mars, par exemple, il a en substance déclaré que, si le PDG s’obstinait à confisquer le pouvoir, il y aurait un risque important de coup d’État « à la nigérienne »…
Je dois avouer qu’il m’a étonné. Je le connais bien, mais là… Soit il souhaitait se faire remarquer, et il a réussi son coup, soit c’est un fantasme qui lui a traversé l’esprit. Je pense qu’il sait parfaitement que le Gabon n’est pas le Niger
Les replis identitaires qui ont marqué la dernière présidentielle vous inquiètent-ils ?
Oui, certains propos et certains comportements m’ont choqué. Mais, au bout du compte, l’attitude des Gabonais m’a rassuré. Je me suis dit que le président Omar Bongo avait vraiment réussi à instituer l’unité et la cohésion nationales. C’est le sens de notre histoire. Tous ceux qui ont été tentés de prendre le chemin de la division ont échoué. Il y a cinquante ans, comme aujourd’hui.
Certains proches de votre père vous reprochent de ne pas savoir « ouvrir les bras » à vos ennemis, comme lui-même le faisait si bien…
Il ne faut pas feindre d’être amnésique. J’étais aux côtés du président Omar Bongo quand il « ouvrait les bras ». Il l’a fait pendant les vingt-cinq dernières années. Pour quels résultats ? Pour voir une bande de profiteurs revenir à la première occasion sur leurs engagements. Le Gabon en a trop souffert. J’aime les choses claires : nous sommes en démocratie, chacun est libre de nous soutenir ou non. Mais le temps des girouettes est révolu.
Comment vivez-vous le fait d’être constamment comparé à votre père ?
J’y étais préparé et je savais pertinemment que la comparaison ne serait pas à mon avantage. C’est un phénomène naturel, qui ne me cause aucun souci.
Que penserait-il de la situation actuelle ? Et de vos premiers pas ?
Sur le fond, il m’aurait totalement approuvé. Mais il est certain que j’ai plus que lui tendance à mettre le pied sur l’accélérateur [rires].
Depuis près d’un an, le général Ntumpa Lebani est en prison pour atteinte à la sûreté de l’État, sans qu’on sache réellement ce qui lui est reproché.
Il m’est difficile d’en parler, car je ne souhaite pas être accusé de m’immiscer dans une affaire délicate, actuellement entre les mains de la justice. La procédure suit son cours, et le général Ntumpa, qui a été arrêté avant que je devienne président, dispose de toutes les garanties en vue d’un procès juste, équitable et ouvert.
Vous aviez promis de rendre public un audit de la fonction publique en janvier dernier. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Lorsque vous prévenez les gens que vous allez réaliser un audit, ils ont tendance à se tenir à carreau pendant un certain temps, avant de reprendre leurs mauvaises habitudes. Nous avons donc souhaité le prolonger, pour affiner les résultats, les comparer sur différentes périodes et ne pas obtenir une « photographie » erronée de la situation.
Vous avez hérité d’un scandale sans précédent avec l’affaire des détournements à la Banque des États de l’Afrique centrale [Beac] et la mise en cause de plusieurs responsables gabonais de l’institution. Comment l’avez-vous vécu ?
Ça a été très difficile. J’arrivais, je m’installais, et je me suis retrouvé confronté à ce dossier pour le moins épineux. Nous avions deux possibilités. Soit tenter d’étouffer l’affaire. Soit faire en sorte que ce type de comportements détestables prenne fin, jouer la carte de la transparence pour que cela ne se reproduise plus. Nous avons évidemment choisi la seconde attitude. Maintenant, nous souhaitons que l’on ne s’arrête pas au cas des quelques Gabonais cités dans ces détournements. Il faut que tous les auteurs de malversations, quelles que soient leurs origines, soient démasqués. Dès le départ, nous avons tout mis en œuvre pour que la lumière soit faite. Et nous aimerions que tout le monde ait la même attitude…
Où en sont les enquêtes diligentées par la justice gabonaise ?
Je n’aime pas les mesures expéditives. La justice prend son temps afin d’aller au fond des choses et de faire en sorte que personne ne passe entre les mailles du filet.
Vous vous êtes battu pour que le Gabon conserve le poste de gouverneur de la Beac. Or, après l’instauration d’un système de rotation entre les différents États de la région, celui-ci est finalement revenu à la Guinée équatoriale. Est-ce un échec personnel ?
Non, nous savions que, tôt ou tard, ce principe de rotation serait adopté. En revanche, j’estime qu’il l’a été à la hâte. Encore une fois, nous ne sommes pas suffisamment allés au fond des choses avant de prendre les mesures nécessaires.