Dans les vestiaires du stade de Mogadiscio, des soldats ougandais donnent leur sang, stocké pour ceux d’entre eux qui seront blessés dans les combats contre les rebelles islamistes shebab. Depuis longtemps la pelouse ne sert plus ici au sport mais à la guerre.
"Si mes amis ont besoin de mon sang, ou si j’ai besoin d’une transfusion, c’est bien d’être prêt", explique James Muasa, l’un des soldats ougandais de la force de l’Union africaine (Amisom) déployée pour sécuriser la capitale somalienne aux côtés des forces du gouvernement de transition (TFG) du pays.
Sous les tribunes du stade, le long des lugubres couloirs, les salles d’entraînement et les bureaux servent désormais de quartiers aux troupes ougandaises. Devant les vitres cassées, sont empilés des sacs de sable pour se protéger des tirs de sniper shebab.
Sur les piliers en marbre de l’imposant édifice, des écriteaux donnent aux soldats des consignes "pour les combats urbains". Marquer par exemple les bâtiments importants comme repères pour les batailles, car "ils restent intacts la plupart du temps".
Une semaine après le plus sanglant attentat jamais revendiqué par les rebelles à Mogadiscio –au moins 82 personnes ont péri– l’Amisom et le fragile TFG ont affirmé lundi avoir pris un des derniers bastions shebab dans la capitale.
Mais les insurgés, qui se revendiquent d’Al-Qaïda et ont juré la perte du gouvernement, restent postés aux alentours de la ville et sur des routes stratégiques menant à son centre. Et les combats ne sont jamais bien loin.
Le stade de Mogadiscio, criblé de balles, n’a lui plus accueilli de match de football depuis 1991. Depuis la chute du président Mohamed Siad Barre, qui allait plonger le pays dans une guerre civile dont il n’est jamais sorti. "Nous aimerions avoir un match de foot ici, un match amical entre l’Ouganda et les soldats du TFG," glisse Ronald Kakurungu, un capitaine ougandais. "Nous sommes encore trop occupés, mais ce serait bien de voir le stade revenir à son utilité première".
Le stade, autrefois d’une capacité de 35. 000 places, sert de facto de base militaire depuis 20 ans. Et change régulièrement d’occupant.
Avant d’être saisi par les soldats ougandais, le lieux était aux mains des shebab. Les insurgés avaient transformé le terrain en champ de tir, où ils testaient leurs balles perforantes fabrication maison. Sur les murs, les rebelles ont aussi laissé des dessins naïfs au charbon de bois, représentant, là, des hommes armés, ici, des pick-up chargés d’armes à feu.
Les murs du stade gardent la mémoire de tous les bataillons qui y sont passés, de toutes les insurrections, de toutes les interventions militaires extérieures.
L’une des entrées exhibe des badges militaires peints dans les années 90 par des soldats pakistanais des Nations unies, juste après le départ du président Siad Barre, quand déjà le pays était frappé de famine.
Ce sont eux qui avaient recueilli ici, en 1993, les soldats américains pris dans de violents affrontements après la chute de leurs hélicoptères, abattus par les combattants somaliens qu’ils devaient déloger. Ces scènes de combat avaient été rendues célèbres par le film de Ridley Scott "La chute du faucon noir".
Dans une autre salle, des noms sont gravés en amharique, la langue vernaculaire de l’Ethiopie. Plus récents, ils remontent à 2006, l’année de l’invasion de la Somalie par l’Ethiopie destinée, avec le soutien américain encore, à renverser un précédent mouvement islamiste qui contrôlait Mogadiscio.
Mais dans le local aujourd’hui utilisé par les soldats ougandais pour enfiler leurs encombrants gilets par-balles, un graffiti pourrait sans doute faire écho aux pensées de la plupart de tous ces hommes qui se sont succédés dans le stade. "Ramenez-moi à la maison," dit-il.