Y a-t-il une vie après le pouvoir ?

Jeune Afrique, 24 de Febrero- C’est l’histoire, véridique, du président d’un pays d’Afrique centrale qui dans son lointain exil continua, des années après sa chute, de parapher lois et décrets, promotions et limogeages, sur son papier à en-tête jauni de chef de l’État. En désespoir de cause, après avoir nommé son chauffeur et son cuisinier au sein de son cabinet fantôme, notre homme finit par signer sa propre destitution : une nouvelle vie pouvait alors commencer. Pathétique ? Sans doute. Mais à tout le moins ce personnage, grand amateur de nœuds papillons, avait-il une excuse. Renversé par un coup d’État, il était passé directement de l’ivresse du palais présidentiel à la cellule de dégrisement, sans le moindre sevrage assisté. Un cas de moins en moins fréquent sur le continent depuis qu’en juillet 1999, à Alger, ce qui s’appelait encore l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a décidé de bannir – et de punir – les changements de pouvoir par la force, et qu’au sort de la victime exilée et inconsolable s’est peu à peu substituée une équation insoluble : comment encourager les dirigeants en place à abandonner démocratiquement leurs fonctions au terme de leur mandat ? Et comment les décourager de manipuler les Constitutions, au risque de susciter à leur encontre un effet boomerang, tout aussi inconstitutionnel ?

À bien y regarder, en effet, se focaliser sur les coups d’État pour les condamner, comme le fait la communauté internationale, ne sert pas à grand-chose si les causes qui les ont engendrés ne sont pas prises en compte. De la Centrafrique à la Mauritanie, en passant par la Guinée-Bissau, Madagascar et la Guinée-Conakry, la plupart des putschs survenus après la déclaration d’Alger sont moins l’expression nue d’une ambition personnelle que le point d’orgue d’une crise politique et institutionnelle aiguë, dont le dénouement, extra-électoral et donc en violation de la Constitution, est le plus souvent conforme aux espérances de la population. Lorsque des chefs, pourtant démocratiquement élus, adoptent peu à peu un comportement erratique et sombrent dans la mal-gouvernance, attendre l’issue légale de leur mandat paraît parfois insupportable, et l’interrompre, un mal nécessaire. Mais que dire lorsque ces mêmes chefs, y compris les plus sérieux d’entre eux, modifient les Constitutions pour bénéficier d’un « bail » à vie ? Dans la grande majorité des cas, un minimum d’alternance favorise grandement la qualité et l’efficacité de la gouvernance et renforce la démocratie, alors que la permanence indéfinie du même homme au pouvoir sous couvert d’exigence populaire soigneusement orchestrée finit toujours par devenir un facteur d’instabilité aussi fort qu’un trucage électoral – et cela d’autant plus que les deux vont de pair. Sans pour autant verser dans le constitutionnalisme béat, aucune Constitution n’étant par nature intouchable, il importe donc de convaincre les détenteurs du pouvoir qu’« il n’existe pas de sagesse plus vraie » et que « rien n’est plus clairement la marque d’un homme d’État que de savoir quand passer le flambeau à une nouvelle génération » (Kofi Annan). En d’autres termes : l’alternance au pouvoir est la clé de la stabilité et l’antidote aux coups d’État.

Encore faut-il inciter les chefs à la sagesse et les rassurer sur le bon déroulement d’une retraite politique prise parfois dans la force de l’âge. Leur sécurité financière et physique (protection rapprochée) ainsi que le maintien des privilèges et de l’immunité diplomatique doivent être garantis, ce qui a pour corollaire l’absence à leur encontre, de la part de leurs successeurs, de tout esprit de revanche, de persécution et d’humiliation. Donner aux « ex » l’impression – fondée – qu’ils sont toujours écoutés et utiles à la nation, faire en sorte qu’ils ne soient pas marginalisés, quel que soit le cadre dans lequel ils évoluent, est également indispensable. Comme chacun le sait, l’ennui est mère de tous les complots.

À quand un statut panafricain?

Autant d’assurances qui, pourtant, peinent à convaincre ces présidents en fin de mandat que leur entourage et leur famille pressent souvent de rempiler par crainte de voir s’évanouir leurs avantages et s’instaurer un climat de dénigrement dont ils seraient les victimes. D’où la nécessité de déboucher à terme sur un statut panafricain des anciens chefs d’État inscrit dans chaque Constitution, afin que ces garanties soient désormais « liées à la fonction et non à l’individu qui en est dépositaire », souligne le diplomate onusien Ahmed Ould Abdallah*. Un statut qui, dans un premier temps, bénéficierait à tous les « ex », y compris les auteurs de coups d’État touchés par le repentir, mais qui, ensuite, serait assorti de trois conditions auxquelles les futurs postulants devraient obligatoirement souscrire. Respecter les limites constitutionnelles des mandats électifs – ou, si une modification du nombre et de la durée de ces mandats apparaît indispensable, faire en sorte d’en décaler l’application afin qu’elle ne profite pas à celui qui l’a fait adopter, mais à ses successeurs. Arriver au pouvoir par les urnes et non par les armes et l’exercer sans violation grossière des droits de l’homme. S’engager, enfin, une fois les clés du Palais rendues, à ne pas se comporter en opposant au nouvel arrivant : prendre la tête d’un parti politique ou conserver la présidence du parti majoritaire (comme l’avait fait, au Cameroun, Ahmadou Ahidjo) est ainsi un facteur de tensions, parfois dramatiques, à proscrire.

Reste que, parmi les chefs que le pouvoir a quittés, rares sont encore ceux qui, le cœur léger, ont jeté la rancune à la rivière et abandonné tout espoir d’y revenir avant que l’usure du temps ne fasse son œuvre. En cette année 2010, deux d’entre eux, Henri Konan Bédié et Ange-Félix Patassé, sont directement engagés dans la compétition électorale avec la ferme intention de reconquérir leur trône. Pour eux, la vie après le pouvoir n’est ni un sacerdoce ni une sinécure. C’est une parenthèse.

* « La vie après le palais présidentiel », Etudes thématiques de l’Unowa, mars 2006.

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