Les exilés de Yagma

Jeune Afrique, 1 de Septiembre- On pourrait croire qu’Antoine Ouédraogo affabule quand il assure, dans la voiture qui nous mène à son nouveau « chez lui » à Yagma (prononcer « Yarma »), qu’il lui faut plus de deux heures pour parcourir la distance à vélo. Mais au fil des innombrables échoppes que l’on croise sur le bord de la route depuis le centre de Ouagadougou, des kilomètres de bitume – puis de terre – que notre vieille Mercedes avale jusqu’à cette « nouvelle ville » érigée en quelques mois, l’homme de 32 ans gagne en crédibilité. Lorsqu’on arrive enfin à sa maison, on se dit même qu’il a une sacrée condition physique pour mettre aussi peu de temps. Du courage aussi.

Depuis plus de six mois, Antoine partage sa vie entre Ouaga-centre, où il garde la maison d’un Français, et Yagma, où une parcelle lui a été accordée par l’État le 12 février. C’est là que vit sa femme, avec leur fils de 2 ans. « Elle n’a pas de travail, comme tous les gens qui habitent là. » Lui en a un, mais pour ne pas le perdre et se dispenser d’un périple quotidien, il est hébergé à Ouaga. « Je ne pourrais pas faire le trajet tous les jours. En vélo, cela fait cinq heures aller-retour. » En voiture, ce n’est guère mieux : « Le taxi est cher, au moins 1 500 F CFA [environ 2,30 euros, NDLR]. Et encore, il faut marcher 2 km pour en trouver un ! » On ne vient pas à Yagma sans raison.

Perdu dans une contrée désertique au nord de la capitale, loin de tout, le site n’est pas très accueillant. Il a pourtant été choisi par les autorités burkinabè pour héberger les sinistrés du 1er septembre 2009. Ce jour-là, il pleut comme jamais (263 mm entre 4 heures et 16 heures) sur la capitale. Les retenues d’eau débordent, 45 quartiers sont inondés – dont celui de Nioko 2, où vivaient Antoine et sa femme depuis dix ans –, 20 000 à 25 000 ménages (au moins 125 000 personnes) sont sinistrés. « Avec ma femme, nous avons eu à peine le temps de prendre notre garçon et de fuir. C’est venu très vite. L’eau est montée jusqu’à 1,50 m. La maison s’est écroulée », se souvient Antoine.

Camps improvisés

À l’époque, la réponse des autorités est efficace, jugent les humanitaires. « La coordination n’a pas été excellente, mais c’était la première fois qu’une telle catastrophe survenait ici. Globalement, on peut parler d’un succès », analyse Éric Pitois, responsable, au sein de la délégation de l’Union européenne au Burkina Faso, de l’aide humanitaire.

Dans un premier temps, des milliers de familles ont été hébergées à la va-vite dans des camps improvisés. Le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’État apportent la nourriture, les ONG se chargent de l’assainissement. « On a évité la propagation d’épidémies », se réjouit Ilboudo Abdoulaye, coordinateur à Action contre la faim (ACF). Un mois plus tard, les sinistrés sont regroupés dans 21 sites plus grands. Interdits de retourner dans leur ancien quartier, jugé à risques, ils finiront par se poser à Yagma en janvier et février 2010. Un site jusqu’alors désert que l’État et la ville de Ouagadougou aménagent sommairement (pistes, puits) et divisent en de petites parcelles (18 000) dont les sinistrés deviennent propriétaires. À eux, ensuite, de construire leur propre maison avec les 50 000 F CFA et le matériel de construction (tôle, ciment) alloués par le gouvernement.

Yagma n’est pas très séduisant. Cette « ville nouvelle » en gestation a tous les traits d’un camp de réfugiés : des tentes blanches par milliers, des pistes et des parcelles aléatoires, des puits de fortune… Les écoles se font attendre, tout comme l’électricité. Pourtant, c’est bien, inespéré même, déclarent les bénéficiaires. « Quand on n’a nulle part où aller, on se contente de ce qu’on nous donne », philosophe un voisin d’Antoine.

Mais c’est loin, trop loin pour ces milliers de personnes qui habitaient en centre-ville. Nombre d’entre elles ont dû faire un choix : perdre leur emploi et s’installer ici, ou vivre en ville et laisser leur famille pour « occuper » la place. Ceux qui avaient leur propre commerce n’ont pas été confrontés à ce dilemme : ils ont tout perdu et rares sont ceux qui, à Yagma, ont pu relancer leur activité. Seuls les maçons ont vite retrouvé du travail, même s’ils se plaignent de la « concurrence » des ONG qui ont aidé les plus démunis à construire leur nouvelle maison en faisant venir leur propre main-d’œuvre.

Pas de travail

Kalima Nikiama est dans ce cas. À 71 ans, il a bénéficié de l’aide d’une organisation allemande, Help, pour construire sa maison. Lui n’a pas eu la force de rester en ville. Il a donc tiré un trait sur son emploi de gardien et s’est installé ici avec sa femme et ses cinq enfants. « On a tout perdu le 1er septembre. Ça a été très dur », lâche-t-il dans un soupir. Aujourd’hui, seule la vente du bois que sa femme récolte leur permet de survivre. Les enfants, eux, attendent que l’école du quartier, en chantier à quelques mètres, ouvre ses portes.

Larb Sawadogo aussi a perdu son emploi. Comme Antoine, cet homme de 57 ans vivait à Nioko 2 – depuis sept ans. « J’étais cuisinier à Ouaga 2000 [quartier riche de la capitale, NDLR]. Mais avec les inondations, je n’ai pas pu me rendre à mon travail pendant quelques jours. Mon patron m’a viré. Aujourd’hui, j’habite ici. C’est impossible de trouver du travail. C’est loin de tout. »

Leur voisine, Habiba Nikyeme, a 75 ans. Son mari est resté « là-bas ». « Il est gardien. Sans ce travail, nous n’aurions rien pour nous acheter à manger », dit-elle, assise à l’ombre de sa tente blanche, non loin d’un baby-foot sur lequel s’acharnent une demi-douzaine d’adolescents. Dans le quartier, Habiba est l’une des seules à ne pas avoir construit sa maison. « Nous n’avons pas les moyens », affirme-t-elle. L’argent de l’État ? « Nous l’avons déjà dépensé… » « Le problème, c’est que cet argent nous a été versé avant qu’on ait la parcelle, explique Antoine dans un sourire contrarié. Beaucoup d’entre nous n’ont pas pu attendre. »

Devant sa maison en terre cuite, bizarrement construite, Antoine est fier. Certes, elle est minuscule et il lui a fallu se saigner pour la bâtir : « Je n’avais pas assez d’argent pour payer le maçon, donc je l’ai faite avec lui, quand je pouvais prendre des jours de repos. » Mais c’est toujours mieux que la tente – parfois surchauffée, parfois inondée – dans laquelle sa famille a vécu plusieurs mois. Et puis, « celle-ci m’appartient », sourit-il, lui qui, à Nioko 2, n’était que locataire. « C’est la première fois que je suis propriétaire de ma maison ! » Plus tard, quand il aura fait des économies, il ajoutera une pièce.

Plus tard encore – il l’espère –, il pourra s’acheter une mobylette. Mais d’ici là, Yagma ne sera peut-être plus si isolé. « Aujourd’hui, les gens sont mécontents, constate Éric Pitois. Mais dans vingt ans, à la vitesse où avance la ville, ce quartier sera au cœur de Ouaga. »

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